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— Pas pour moi, dit-elle. Je ne peux pas le supporter.

— Vous n’êtes pas si faible que vous ne puissiez porter et le bien et le mal de l’amour tout entier.

— Je ne suis pas si faible, Philippe. Je veux l’amour tout entier. Corps et âme. Je ne veux pas de la moitié.

— L’âme est une foutaise, dit-il.

— À quoi avez-vous donc voué votre énergie ? À quoi vous sacrifiez-vous, depuis que vous êtes né, sinon à votre Idée ?

Il haussa les épaules, et dit :

— Duperie !

— Elle vous fait vivre. Moi aussi, j’ai la mienne. Ne la faites pas mourir !

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Je veux que jusqu’au jour où nous aurons décidé d’unir ou non nos vies, nous évitions de nous voir.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne veux plus, je ne veux plus me cacher, je ne veux plus de partage, je ne veux plus, je ne veux plus…

Mais elle ne dit pas la plus secrète raison :

— ( « Si j’acceptais encore, il ne me resterait plus bientôt même la volonté de vouloir autrement ; je ne m’appartiendrais plus ; je serais un jouet qu’on brise, après l’avoir sali. » )

Lui, qui était incapable de comprendre cette révolte de l’instinct contre l’asservissement à ses désirs mortels, il ne voulait toujours voir là qu’une méfiance et une ruse de femme, afin de le dominer. S’il ne le dit point, il ne le cacha point. Quand elle le lut en lui, Annette impétueusement fit le mouvement de partir. Philippe, frémissant d’impatience et de l’effort qu’il faisait pour ne point la trahir aux regards des passants, saisit le bras d’Annette, et le serrant, il dit d’une voix qui tâchait d’assourdir ses accents emportés :

— Et moi, je ne veux pas, je ne veux pas renoncer, je