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grattant le sol ; elle baissait la tête, un flot de sang aux joues, pensant : « Il va me reprendre ! » Et elle voulait dire : « Non ! » Et son sang criait : « Oui ! » Elle sentait sous ses doigts s’écraser les mottes sèches, et, la figure enfouie dans l’odeur amère du buis au soleil, elle tâchait d’arrêter le bruissement du sang dans ses oreilles, pour écouter les pas de l’autre côté du mur. Elle entendit l’auto qui repartait. Elle courut à l’angle du jardin, sur la route ; et elle cria :

— Philippe !…

La voiture, au tournant, disparut…

Annette repartit, le lendemain, pour Paris. Savait-elle ce qu’elle voulait, ce qu’elle allait faire ? — Sylvie la regarda avec pitié, dit :

— Ça ne va pas mieux…
et ne l’interrogea point. Annette, reconnaissante, restait, le corps brisé, assise, sans parler, dans un coin de la chambre de sa sœur, cherchant un apaisement dans cette chaude présence. Sylvie allait et venait, la laissait reprendre pied dans son silence. Annette se leva enfin, pour rentrer au logis. Quand elle fut pour partir, Sylvie, lui mettant les deux mains autour des tempes, la regarda encore, longuement, hocha la tête, et dit :

— Si tu ne peux autrement, soumets-toi, ne lutte plus ! Ça passera. Tout passe. Le mal, le bien, et nous… Pour le peu que ça vaut !…

Mais pour Annette, cela valait beaucoup. La question n’était pas seulement entre Philippe et elle. La question était entre elle et elle. Retourner à Philippe, s’avouer vaincue par lui, elle y eût trouvé une âpre jouissance. Mais ce qui l’épouvantait, c’était une défaite plus profonde, plus intime, qui n’avait d’autre témoin qu’elle-même. Elle portait en soi, son mortel adversaire. Jamais depuis des années, elle ne l’avait ignoré, quoiqu’il lui plût, par orgueil, et peut-être par prudence, de ne pas y penser. Ce gouffre du désir et de la volupté, qu’une