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les cloches, les oiseaux, les voix des paysans : elle pleura de soulagement… Mais, au milieu de la nuit, — (elle dormait, brisée) — elle se réveilla subitement. Une angoisse l’étreignait. Elle sentait à sa gorge les anneaux du serpent. Elle passa des jours dans une alternative d’humiliantes tortures, d’aveugles poussées, et de soudaine, d’aiguë, d’absolue clairvoyance, perçant la grande tromperie. Elle avait un sentiment perpétuel d’insécurité. Même avertie, armée, il suffisait d’un rien pour qu’elle retombât. Elle prolongea l’absence.

Ce n’était pas sans risques pour sa situation. Cette subite éclipse lui fit perdre des leçons. La petite clientèle qu’elle avait eu tant de peine à rassembler passait à d’autres mains. Sylvie transmettait à sa sœur les lettres et les informations, mais elle n’y ajoutait rien que de bonnes nouvelles de la santé du petit, elle évitait de conseiller : Annette était seule juge.

Annette savait bien qu’elle devait rentrer ; mais elle retardait toujours… Elle avait beau rester, elle ne pouvait défendre à sa pensée de retourner vers Philippe : que faisait-il ? ne la cherchait-il point ?… De lui, rien n’était venu. Elle redoutait ses nouvelles, et elle les appelait. Elle l’écartait de son esprit, elle s’en croyait dégagée. Mais il ne la quittait point. Et subitement, il surgit.

Un soir, sous la charmille qui longeait le mur bas du jardin, elle errait, désœuvrée et hantée ; elle vit, entre les branches, au loin, sur la route blanche, une auto qui venait. Et elle pensa : « C’est lui !… » Elle se rejeta en arrière. L’auto fila le long du mur, au bout de la petite propriété. Annette, le cœur serré, écoutait le grondement, l’entendit se ralentir. À trente pas plus loin, le chemin bifurquait, et l’auto hésita. Annette, derrière le rideau de feuilles, se risquant à regarder, vit de dos l’homme indécis, qui se tournait, explorant l’horizon. Et elle le reconnut. Une terreur la prit : elle courut se jeter derrière une haie de buis, et s’affaissa par terre, ses ongles