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entre les combattants ; dès qu’il y a un vaincu, l’autre abuse, et le vaincu s’avilit. Annette était à la minute poignante qui précède et décide la défaite : elle le savait, ses forces ne la soutiendraient plus longtemps. Philippe le savait aussi. Et son attitude le montrait. Il avait beau tenir autant à Annette (peut-être plus), il avait moins d’égards, il usait brutalement de ce qui lui appartenait, il la traitait en province conquise. Toutes ses journées prises par sa vie de travail ordonnée et tumultueuse, et ses nuits par Noémi (car il voulait ménager l’apparence), il ne voyait Annette que pour des rencontres brèves et brûlantes, des étreintes. Aucune intimité de cœur. Il affectait de dire, cyniquement, qu’elle avait la meilleure part.

Elle voulut s’arracher à cet avilissement, dont ses sens étaient complices. Mais ils devenaient, chaque jour, plus impérieux. Et une fois qu’elle voulut se soustraire à leur tyrannie, ils lui infligèrent un démenti, dont, la violence la terrassa. Une femme de cette vigueur ardente, dont la rude discipline a tenu enfermées, dix ans, ses passions, et qui leur ouvre la cage, à l’heure la plus embrasée de l’orageux été, risque d’être anéantie.

Annette ne pouvait se sauver qu’en imposant à Philippe le respect pour l’épouse qu’elle voulait être, — l’associée « rei humanæ alque divinæ », — l’égale. Elle demanda à Philippe, elle le supplia, angoissée, de renoncer à elle, jusqu’au temps où ils pourraient au grand jour s’aimer et s’épouser. Philippe refusa : il ne voulait pas plus être gêné dans ses passions que dans sa politique ; il ne voulait ni se passer d’Annette, ni l’épouser à une heure qui n’était pas la sienne. Il affecta de voir dans l’effort d’Annette pour se reprendre une tactique assez dégradante pour l’attacher à elle. Il savait pourtant le don qu’elle faisait de soi, sans arrière-pensée ! Elle fut souffletée de ce soupçon outrageant, et de nouveau elle se livra, avec un désespoir de passion et de dégoût.