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mique qui l’absorbait, au moment où Annette eût voulu qu’il ne pensât qu’à elle. Il n’entendait pas provoquer un scandale conjugal et s’embarrasser d’une affaire de divorce retentissant, avant d’être sorti du feu de la bataille actuelle. Il était décidé à tenir ses engagements. Mais plus tard ! Qu’Annette patientât ! Il patientait bien, lui ! Il jouissait d’elle. Il se serait accommodé de prolonger la situation. Il se flattait d’imposer à Noémi la même longanimité. Il se flattait beaucoup ! Il ne voulait pas voir ce qu’une pareille attente avait d’intolérable pour les deux femmes…

— Naturellement ! pensait Annette. Un homme — un homme digne que nous l’aimions, — ne nous aimera jamais autant que ses idées, sa science, son art, sa politique. Naïf égoïsme, qui se croit désintéressé, parce qu’il s’incarne en des idées ! L’égoïsme du cerveau, plus meurtrier que celui du cœur. Que de cœurs il a brisés !…

Elle ne s’en étonnait pas, elle connaissait la vie ; mais elle en souffrait. Elle l’eût pourtant accepté, s’il ne s’était agi que de souffrir, et peut-être même avec cette volupté secrète du sacrifice, qui est familière aux femmes, et qui volontiers leur semble une rançon de l’amour. Mais non pas au point de sacrifier le respect de soi et l’honneur de son fils dans une situation humiliante. Que Philippe ne le sentît pas, lui était pénible. Certes, il n’était point délicat. Elle savait ce qu’il pensait de la femme et de l’amour. Il devait penser ainsi : ainsi, l’avaient façonné son éducation et ses rudes expériences ; et c’était ainsi qu’elle l’avait aimé. Mais elle se flattait de l’espoir qu’elle le modifierait. Or, elle s’apercevait que, de jour en jour, elle perdait de son pouvoir sur lui. Et le pire : sur elle-même. Annette se sentait envahie par le démon sensuel, de jour en jour moins maîtresse de sa volonté, plus asservie. Le duel de la passion ne conserve sa noblesse qu’aussi longtemps qu’il y a égalité