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Annette resta quelque temps encore, sans bouger de la place où Noémi l’avait laissée. De cette longue scène, elle était courbaturée. Elle eût mieux réagi, si l’assaut ne l’eût surprise déjà rongée par la double usure de la passion et de la tâche incessante, la fièvre continue, la participation aux combats de Philippe, à son âme orageuse, et, dans cet épuisement du corps et de la pensée, ses remords refoulés, ses tourments renfermés. Cette défaillance faisait la force de Noémi. Celle-ci trouvait le terrain préparé et une alliée dans son adversaire.

La personne même de Noémi comptait peu dans les soucis d’Annette. Comme femme, elle ne l’aimait guère. Comme rivale, elle ne l’aimait point. Elle la jugeait fausse, perfide, sans bonté. Et jalousement injuste, elle niait maintenant son charme, que d’abord elle avait goûté ; tout lui semblait truqué en elle, tout, sauf la douleur. Et qu’elle soit Noémi ou une autre, peu importe ! Elle est une chair qui souffre, que moi, je fais souffrir… Et une étrange pitié minait le cœur d’Annette.

Cette disposition s’était développée, dans les dernières années, au spectacle des misères, au contact des deux morts, celles d’Odette et de Ruth. Il lui en était resté un obscur ébranlement. Une faiblesse. Elle la nommait maladive. Et peut-être, ce l’était. On ne pourrait plus vivre, si l’on devait s’arrêter aux souffrances du monde ! Chaque bonheur se repaît de la souffrance d’un autre être. La vie ronge la vie, comme les larves pondues dans une proie vivante. Et chacun boit le sang de tous. — Annette le buvait naguère, sans y penser. Et dans son