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ternelle, projeté nu et meurtri dans la lumière cruelle !… Le petit homme, rassuré, avait pris possession de la vie. Et il la trouvait bonne. Il l’explorait, palpait et goûtait goulûment de la bouche, des yeux, des pieds, des mains, des reins. Il célébrait sa proie, en jouant émerveillé avec les sons qui sortaient de son flûteau. Une proie de plus : sa voix ! Il s’écoutait chanter. Mais il ne jouissait pas de son chant avec plus de délices que sa mère. Annette s’en grisait. Cette petite voix de ruisseau lui faisait fondre le cœur. Même les cris suraigus où montait l’instrument, lui perçaient le tympan d’une exquise volupté :

— Crie bien fort, mon chéri ! Oui, affirme ta vie !

Il l’affirmait avec une énergie qui n’avait pas besoin d’encouragements. Joie, colère, caprices, il en criait de toutes les couleurs. Annette, maman novice et déplorable éducatrice, trouvait tout charmant ; elle n’avait pas la force de résister aux appels tyranniques. Elle se fût levée dix fois, la nuit, plutôt que de l’entendre pleurer. Et, du matin au soir, elle se laissait sucer par l’avide sangsue. L’enfant ne s’en portait pas mieux ; et elle, s’en porta fort mal.

Sylvie, quand elle revit sa sœur, au printemps, la trouva amaigrie ; et elle s’inquiéta. Annette manifestait toujours le même bonheur ; mais l’expression en était devenue un peu fébrile ; les larmes lui montaient aux yeux, pour un mot affectueux. Elle convint qu’elle ne dormait pas assez, qu’elle ne savait pas se faire servir, et que devant les difficultés pratiques qui se présentaient pour les soins à donner ou la santé de l’enfant, elle se sentait démunie. Elle le disait, en affectant de rire de sa pusillanimité ; mais sa belle assurance du début était tombée. Elle était frappée de voir qu’elle n’était pas aussi robuste qu’elle avait pensé ; n’ayant jamais été malade, elle n’avait pas connu les limites de ses forces, et elle croyait qu’elle en pouvait user sans compter ; elle s’apercevait que ces limites étaient étroites et qu’on