Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/317

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et elle le jugea durement, profondément. Annette était frappée de son intelligence. Cette petite créature qu’on eût dite frivole, inattentive, avec quelle acuité de rancune et de souffrance elle avait lu en lui ! Certaines remarques terribles ne répondaient que trop aux appréhensions que ses propres expériences avaient éveillées chez Annette. Elle dit :

— Et pourtant, vous l’aimez !

— Je l’aime. Il n’a pas besoin de moi. C’est moi qui ai besoin de lui… Ah ! croyez-vous que je ne souffre pas d’avoir besoin de lui, de lui qui n’a pas besoin de moi, de lui qui me méprise, de lui que je méprise ?… Je le méprise, je le méprise ! Mais je ne puis me passer de lui… Pourquoi l’ai-je connu ? C’est moi qui l’ai voulu. Je l’ai voulu, je l’ai pris… Et c’est moi qui suis prise… Si je pouvais, si je pouvais ne l’avoir jamais connu !… Ah ! je ne le voudrais pas !… La force me manque. Je suis trop prise. Il me tient par les entrailles. Je le hais. Je hais l’amour. Pourquoi, pourquoi aime-t-on ?

Elle se tut, épuisée, avec des yeux traqués, qui vacillaient, cherchant à droite, à gauche, une issue pour échapper. Elles baissaient le front, les deux femmes, asservies sous le joug de la force sauvage.

Et Noémi reprit son refrain, d’un ton morne et pressant :

— Laissez-le-moi !

Annette sentait une volonté tenace et gluante de pieuvre, qui se collait à ses membres avec des bras garnis de ventouses. Elle s’y arracha encore, et cria :

— Je ne veux pas !

Noémi eut, dans les yeux, une lueur de colère, et ses doigts se crispèrent. Puis, elle dit, d’une voix douce et plaintive :

— Aimez-le ! Qu’il vous aime ! Mais ne me l’enlevez pas ! Gardons-le, vous et moi !

Annette fit un geste de répulsion.