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sur son mari : elle ne croyait pas aux droits d’un être sur un autre, à ces contrats de propriété mutuelle qu’on signe pour la vie. Mais elle souffrait des jeux de la cruelle nature qui, lorsqu’elle sépare deux cœurs qui se sont aimés, n’arrache jamais l’amour des deux cœurs à la fois, mais a soin que l’un des deux cesse d’aimer avant l’autre, afin que le plus aimant soit toujours sacrifié. Et il lui était odieux de servir aux plans de la grande tortureuse. — « La vie est aux plus forts. Oui. L’amour n’hésite point. Pour atteindre son but, il foule aux pieds le reste. Malheur aux faibles !… Pourquoi donc est-ce que moi, je ne puis pas le dire ? Je le voudrais, mais les mots me restent dans la gorge. Je ne puis pas. Cela me répugne… Est-ce que je n’aime plus assez ? Je suis vieille, comme elle dit. Je suis du côté des faibles… Non ! Non ! Non ! Duperie !… De quel droit vient-elle se mettre entre le bonheur et moi ? Je ne lui céderai pas mon morceau de bonheur !… Ses larmes, que me font ses larmes ?… Je marcherai sur elle !…

Mais, comme elle regardait méchamment Noémi étendue, Noémi qui la guettait au travers de ses pleurs lui prit la main, le bras, qui pendaient près du dossier de la chaise, les colla contre sa joue, et supplia :

— Laissez-le-moi !

Annette chercha à se dégager. Noémi tenait bien. Soulevée sur la chaise, elle remontait des deux mains le long du bras d’Annette, la forçant à s’incliner et à la regarder :

— Laissez-le-moi !

Annette s’arracha aux doigts qui l’agrippaient, et se rebella :

— Non ! Non !… Je ne veux pas. Il a besoin de moi.

Noémi, amèrement, dit :

— Il n’a besoin de rien, que de lui. Il n’aime que lui. Il trouve son plaisir en vous, comme il l’a trouvé en moi. Il vous laissera comme moi. Il ne s’attache à rien.