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odieux, mais elle ne le montra pas) — elle lui demanda, comme à un enfant qui pleure :

— Vous l’aimez donc bien ?

— Je n’aime que lui !

— Moi aussi, je l’aime.

Noémi ressauta de jalousie :

— Oui, fit-elle âprement, mais moi, je suis jeune. Vous, vous êtes… (elle s’arrêta)… vous avez eu votre vie, vous pouvez vous passer de lui.

Annette se répétait avec amertume le mot qu’elle n’avait pas dit :

— C’est parce que je serai bientôt vieille que cette dernière heure de jeunesse, cette lumière suprême, j’y tiens, je ne la lâcherai point… Ah ! si, comme toi, j’avais devant moi le trésor de la jeunesse !…

Elle ajouta tristement :

— Je le gâcherais sans doute, une seconde fois.

Mais Noémi, qui avait vu le regard d’Annette s’assombrir, s’inquiétait d’avoir compromis les faibles avantages qu’elle venait de gagner, et elle dit hâtivement :

— Je sais bien qu’il vous aime, que vous êtes belle…

(Annette pensait : « Menteuse ! » )
… que vous m’êtes supérieure en tant de choses qu’il aime. Et je ne puis même pas vous en vouloir, parce que, malgré tout, je vous aime…

( « Menteuse ! Menteuse ! » répétait Annette.)

— … La partie n’est pas égale. Ce n’est pas juste ! Non… Je ne suis qu’une pauvre femme qui pleure. Je ne suis rien. Je le sais… Mais je l’aime, je l’aime, je ne peux pas me passer de lui. Que voulez-vous que je devienne, si vous me l’enlevez ! Pourquoi m’a-t-il aimée alors, si c’est pour m’abandonner ? Je ne peux pas ! Il est toute ma vie, tout le reste ne m’est rien…

Le ton ne mentait pas ici, et Annette, de nouveau, eut pitié. Elle était insensible aux droits que Noémi invoquait