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papiers dispersés, refit très soigneusement sa figure, sa vêture. — Et elle attendit.

Philippe la trouva tranquille et caressante. Elle essaya d’abord des armes les plus simples. Au cours de l’entretien, elle sut innocemment glisser des vilenies sur la rivale exécrée. Elle dit, d’une voix douce, deux ou trois atrocités d’Annette, — de son physique, bien entendu ! le moral est secondaire ; même quand c’est l’esprit qu’on aime, c’est le corps qui fait l’amour. Noémi excellait à trouver dans la beauté d’une femme les traits qui la font voir laide, et qu’après avoir vus on ne peut plus oublier. Cette fois, elle se surpassa. Empoisonner l’image d’une rivale dans le regard d’un amant est une tâche inspirante. — Philippe ne broncha point. Elle changea ses batteries. Elle défendit Annette contre certains propos, elle loua ses vertus : — (l’éloge est sans conséquence !) — Elle cherchait à le faire parler, se démasquer, s’engager sur le terrain où elle l’attendait.

— Mais au bien comme au mal, Philippe resta indifférent. Elle mit en œuvre ses agaceries amoureuses. Elle essaya de piquer la jalousie de Philippe, elle le menaça en riant, si jamais il la trompait, de lui en faire voir, non de toutes les couleurs, mais de toutes les nuances d’une même couleur. — Il ne sourit même pas et, alléguant une affaire, il se disposa à sortir.

Alors, la colère la reprit. Elle cria qu’elle savait tout, qu’il était l’amant d’Annette. Elle le menaça, l’injuria, elle le supplia, elle parla de se tuer. Il haussa les épaules et, lui tournant le dos, sans un mot, se dirigea vers la porte. — Elle courut après lui, le saisit par les bras, le força à se retourner, et, visage contre visage, d’une voix altérée, elle lui dit :

— Philippe !… Tu ne m’aimes plus…

Il la regarda en face, lui dit :

— Non !

Et sortit.