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mentation d’un être, le grand s’appuie sur le petit, plus encore que le petit sur le grand. Ce vagissement était, par sa faiblesse, une force pour Annette. Ô la richesse que donne un aimé qui ne peut se passer de nous !… Annette aux seins durcis, que suçait avidement le petit animal, avidement versait dans le corps de son fils le flot de lait et d’espérance, dont sa poitrine était gonflée.

Alors se déroula le premier cycle émouvant de la vila nuova, cette découverte du monde, qui est vieille comme le monde, et que refait chaque mère, penchée sur le berceau. La veilleuse inlassable guette, le cœur battant, l’éveil de son Bel-au-bois-dormant. Dans ses yeux de saphir, — ces violettes foncées, — Annette se mirait, tant ils étaient brillants. Que voyait-il, ce regard, imprécis et sans bornes, comme le grand œil du ciel, dont on ne peut savoir s’il est vide ou profond ; mais dans la clarté bleue de son cercle, tient le monde… Et quelles ombres subites projettent sur ce pur miroir des nuées de souffrances, des fureurs invisibles, des passions inconnues, venues on ne sait d’où ? Est-ce de mon passé, ou de ton avenir ? L’avers, ou le revers de la même médaille. « Tu es ce que j’ai été. Je suis ce que tu seras. Que seras-tu ? Que suis-je ?… » Annette s’interrogeait dans les yeux de son sphinx. Et regardant cette conscience, d’heure en heure, qui montait de l’abîme, elle revivait, sans le savoir, en cet homunculus, la naissance de l’humanité.

Une à une, le petit Marc ouvrait ses fenêtres sur le monde. Commencèrent à passer sur la surface égale du liquide regard des lueurs plus précises, ainsi qu’un vol d’oiseaux qui cherchent où se poser. Après quelques semaines, sur l’arbuste vivant parut la fleur du sourire. Et puis, dans le buisson, les oiseaux installés se mirent à ramager… Oublié, le cauchemar tragique des premiers jours ! Oubliés, l’épouvante de la terre inconnue, les hurlements de l’être brutalement arraché de l’écorce ma-