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Annexe avait été bouleversée par la vue de Noémi. Depuis qu’elle s’était donnée, le remords la travaillait. Non qu’elle se jugeât en faute d’aimer celui qui l’aimait : leur amour était vrai, était sain, était fort. Il n’avait pas besoin d’excuse, ni de feinte. Nulle convention sociale ne prévalait contre lui. Et, dans sa fièvre de passion, elle n’admettait même pas qu’elle eût des devoirs envers Noémi : elle était la vraie femme de Philippe, elle ne reconnaissait pas l’autre, qui n’avait pas su partager ses travaux et ses luttes, lui donner le bonheur. — Mais toute cette assurance n’empêchait pas qu’une autre ne fût la rançon de ce bonheur, qu’elle ne tuât le bonheur d’une autre. Elle s’était efforcée de croire que Noémi était trop futile pour souffrir beaucoup et qu’elle se détacherait. Mais elle savait le contraire ; et tout ce qu’elle pouvait faire, c’était d’écarter Noémi de sa pensée. L’égoïsme des premiers jours de possession le lui permit.

Depuis la rencontre avec Noémi, ce ne fut plus possible. Annette avait le don malheureux de sortir de soi, en dépit de ses passions, d’être aspirée par les passions des autres, surtout par leurs souffrances, qu’un regard lui révélait…

Elle rentra chez elle, presque aussi obsédée que Noémi du mal qui la rongeait. Elle ne pouvait se payer de mots, s’armer des droits de l’amour. Noémi aussi aimait. Et Noémi souffrait. Est-ce que l’amour qui souffre a moins de droits que celui qui fait souffrir !… Il n’y a point de droits ! Il faut que l’une des deux souffre. Elle ou moi !…