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Ils ne m’abusent point. Je vois. La grâce de Noémi est aussi fabriquée que ses sentiments. Mais l’œuvre est réussie. Elle me fait honneur. Je m’en délecte, le soir, quand je rentre, le regard sali, de ma boucherie de viande gâtée. Elle est une eau riante. Je m’y lave. Qu’elle mente ! Cela n’a aucune importance. Si elle disait vrai, elle n’aurait rien à dire.

— Vous êtes dur. Elle vous aime.

— Sans doute. Moi aussi.

— Si vous l’aimez, qu’avez-vous besoin de moi ?

— Je l’aime, à sa façon.

— C’est beaucoup.

— Beaucoup pour elle, peut-être. Ce n’est pas beaucoup pour moi.

— Mais ce qu’elle vous donne, pourrais-je vous le donner ?

— Vous, vous n’êtes pas un jeu.

— Je voudrais aussi être un jeu. La vie est un jeu.

— Oui, mais vous y croyez. Vous êtes de ces joueurs qui prennent la partie au sérieux.

— Vous, de même.

— Parce que je le veux.

— Qui vous dit que ce ne soit pas aussi parce que je le veux ?

— Eh bien ! Voulons ensemble !

— Je ne veux pas d’un bonheur qui soit bâti sur des ruines. J’ai souffert. Je ne veux pas faire souffrir.

— Tout dans la vie s’achète par la souffrance. Chaque bonheur dans la nature est bâti sur des ruines. Tout est ruines, à la fin. Au moins, qu’on ait bâti !

— Je ne puis pas me décider à sacrifier une autre. Pauvre petite Noémi !

— Elle aurait moins de pitié, si elle vous tenait sous ses pieds.

— Je le crois. Mais elle vous aime. Et pour moi, c’est un crime, de tuer un amour.