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sens, pouvait achever de déprécier une femme aux yeux de Philippe : le dénuement, le désordre, l’odeur d’encre et de cuisine, bref, l’Annette au fourneau. Philippe, qui connaissait la vaillante histoire d’Annette, et qui connaissait encore mieux l’odeur de la pauvreté, fît d’autres réflexions que celles qu’on escomptait ; mais il les garda pour lui.

Ce ne fut pas tout à fait le hasard qui fit que, peu de jours après, Annette, sortant de chez Noémi, rencontra dans la rue Philippe qui rentrait. Ne l’ayant point cherché, elle se crut permis de ne pas combattre la joie secrète qu’elle en éprouva. Ils échangèrent quelques paroles. Pendant qu’ils étaient arrêtés, à causer, une jeune femme passa, que Philippe salua, et qu’Annette reconnut. C’était l’intelligente actrice, qui jouait alors la Maslowa. Annette avait de l’attrait pour elle ; et sa sympathie se lut dans son regard. Philippe lui demanda :

— Vous la connaissez ?

— Je l’ai vue, dit-elle, dans Résurrection.

— Ah ! fit-il, avec un pli de la bouche dédaigneux.

Annette s’étonna :

— Vous n’aimez pas son jeu ?

— Son jeu n’est pas en cause.

— C’est la pièce, alors ? Vous ne l’aimez pas ?

— Non, dit Philippe.

Et il ajouta, voyant Annette curieuse de savoir ses raisons :

— Faisons quelques pas ensemble, voulez-vous ? C’est un peu sans façons. Mais les façons ne sont pas faites pour nous.

Ils cheminèrent ensemble. Annette, gênée et flattée. Philippe parlait de la pièce, avec un mélange d’animosité et d’humour, comme Tolstoy lui-même (juste retour des choses !) en usait souvent avec ceux qu’il n’aimait point. Il s’interrompit, amusé de sa sévérité :

— Je ne suis pas juste… Quand je vois une œuvre, je