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Ne reconnaissait-elle pas sa propre substance ? Ah ! c’était le plus accablant. Comment s’évader de soi-même ?


Elle n’était pas femme à plier passivement sous une fatalité intérieure, qu’elle méprisait. Elle décida d’étouffer un sentiment qui la mortifiait. Et, son labeur aidant, elle y eût réussi, sans Noémi.

Elle reçut une lettre de la grande écriture de la petite personne, qui en avait étudié l’élégance mondaine, sans pouvoir en déguiser la sèche décision. Quelques lignes aimables la priant à dîner. Annette s’excusa sur ses occupations. Noémi redoubla, exprimant cette fois le désir chaleureux qu’elle avait de la revoir et lui laissant le choix de la soirée. Annette, résolue à ne plus affronter un danger qu’elle avait éventé, déclina de nouveau l’invitation, prétextant son extrême fatigue, à la fin de ses journées. Elle s’en croyait quitte ; mais le petit Pandarus, qui est, à ses heures d’ennui et de malice, une des mille formes de l’Amour, ne laissa plus Noémi en repos qu’elle n’eût introduit Annette dans sa bergerie. Et Annette, un soir que, rentrant de ses leçons, elle préparait le dîner — (c’est toujours l’heure que choisissent, pour faire leurs visites, les désœuvrés) — vit paraître Noémi, gazouillante, qui l’assura d’une amitié éternelle. Annette, gênée de se montrer à son désavantage, malgré elle séduite par les tendresses de celle en qui, à son insu, elle aimait un reflet de « l’autre », tint bon, malgré les instances, et refusa tout dîner ; mais elle ne put faire moins que de promettre sa visite, s’informant prudemment des heures où elle serait sûre de trouver Noémi seule. Noémi remarqua le souci que prenait Annette d’éviter Philippe ; elle l’interpréta par la timidité et le manque de sympathie. La sienne en augmenta. Revenue au logis, elle eut l’imprudence bavarde de raconter sa visite à Philippe, insistant, avec la perfidie charmante des excellentes amies, sur tout ce qui, à son