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Quand Annette fut rentrée au logis, baissant la tête, le front pesant, elle se coucha sans parler. Elle faisait le vide en elle. Mais elle ne s’endormit pas. Il lui fallait guetter, pour écarter une image : dès qu’elle s’engourdissait, l’image se présentait à l’entrée. Pour l’oublier, elle essaya de ses préoccupations journalières : elles ne l’intéressèrent point. Alors, elle fit appel, contre l’invasion menaçante, à un allié qu’elle craignait habituellement d’évoquer, car il risquait de remuer trop de troubles passés : Julien, et le monde de pensées qu’autour du nom aimé, plus fictif que réel, le regret et le rêve avaient groupées. Ils reparurent un moment, et retombèrent glacés. Elle s’obstina à les ressaisir de force. Elle ne tenait dans ses bras qu’une gerbe fanée. Un coup de soleil avait bu la sève. À vouloir les ranimer, Annette, avec ses mains fiévreuses, achevait de les brûler. Elle s’agitait, tournant et retournant l’oreiller. Il fallait pourtant dormir, pour le travail du lendemain. Elle prit un cachet, et tomba dans l’oubli. Mais quand, après trois ou quatre heures, elle se réveilla, le souci était là ; et il lui sembla que, même pendant le sommeil, il ne l’avait pas quittée.

Le lendemain et les jours qui suivirent, son trouble persista. Elle allait, elle venait, elle donnait ses leçons, elle causait, elle riait, ainsi que d’habitude. La machine, bien montée, continue d’elle-même. Mais l’âme était inquiète.

Une journée grise, en traversant Paris, soudain tout s’éclaira… De l’autre côté de la rue, Philippe Villard passait… Elle rentra, baignée de joie.