Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

éprouve une aversion pour ses fièvres passées. Tout ce qui est sensuel la fatigue… Dégoût, révolte… Et cette animosité… — (Cette fois, elle l’a reconnue !…) — Écho de la haine ancestrale de la femelle contre le mâle qui l’a fécondée…

Elle cousait, elle cousait, elle voulait oublier. Souvent, lorsque, nerveuse, elle voyait venir à l’horizon une dangereuse nuée, elle recourait au moulin à prières : le travail. Elle cousait ; et ses pensées se rangeaient en bon ordre, comme il fallait…

Et ce jour-là encore, elles se rangèrent. Après une demi-heure d’application muette, le souci s’effaça, reparut le sourire ; Annette, relevant son front penché sur l’ouvrage, montra ses yeux apaisés. Et elle dit :

— Qu’il en soit ainsi !

Le soleil riait sur la neige. Annette laissa le travail et s’habilla pour sortir. Elle avait les chevilles et les pieds un peu gonflés ; mais il fallait se forcer à marcher ; et une fois qu’elle était dehors, elle y trouvait plaisir. Car elle promenait avec elle son petit compagnon. Maintenant, il affirmait sa présence. Le soir surtout, il prenait les dimensions du nid, il tâtonnait partout…

— Dieu ! que c’est étroit ! semblait-il dire. Est-ce que cela ne va jamais finir ?…

Et il se rendormait. Le jour, en promenade, il se tenait sage. Mais on eût dit qu’il regardât par les yeux de sa mère. Car à ces yeux, tout semblait neuf. Ô les fraîches couleurs ! La nature venait de les poser sur la toile. Annette en avait aussi de belles sur les joues. Son cœur battait plus fort, et son sang affleurait. Elle jouissait des odeurs, des saveurs ; quand on ne pouvait la voir, elle mangeait un peu de neige, sur le chemin… Délicieux !… Elle se rappelait qu’enfant, elle faisait de même, aussitôt que la bonne ne regardait pas… Elle suçait aussi des tiges de roseaux, humides et gelées : elle en avait, tout le long du gosier, un frisson de gour-