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Elle promettait, oubliait encore un jour ou deux, et envoyait enfin, s’excusant le plus gentiment du monde. Philippe, enragé d’attente et d’humiliation, se jurait que la prochaine fois il crèverait plutôt que de redemander. Mais crever, c’est bon pour ceux qui n’ont pas besoin de vivre ! Et lui, il avait besoin… Il redemanderait, autant de fois qu’il faudrait… Solange ne lui en voulait point. Si elle oubliait souvent, — ( « Elle avait tant à penser ! »…) — quand on le lui rappelait, elle avait toujours le même plaisir à donner…

Quels singuliers rapports que ceux de cet homme, jeune, ardent, affamé de tous les biens de la terre, avec cette femme, à peine plus âgée que lui, élégante, jolie, douce, bonne à manger, qui se voyaient seul à seule, souvent, pendant des années, sans que rien d’équivoque s’insinuât dans leur amitié ! La tranquille Solange conseillait maternellement Philippe sur la toilette, sur les petits problèmes du monde et de la vie pratique. L’orgueil de Philippe n’avait point honte de recevoir, de demander conseil, et même de se confier, de conter ses ambitions et ses déceptions. Il le pouvait sans crainte. Solange n’entendait rien, rien de mal, rien de réel. Qu’importe ! Elle écoutait, et elle disait, après, avec son bon sourire :

— Vous voulez m’effrayer. Mais je ne vous crois pas.

Car elle ne croyait que ce qui n’était pas vrai.

Et cet homme, impitoyable pour toutes les médiocrités, ne fit qu’une exception dans la vie : pour Solange. Il s’abstenait de la juger.

Précédé d’une réputation, à l’américaine, tapageuse, mais solide et basée sur des réalités indiscutables, il était revenu à Paris, depuis sept à huit ans. L’appui de son cornac, remorquant à la suite des dollars insolents les protections officielles, lui avait frayé passage, en dépit des triples barrières entassées par la routine, la jalousie,