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la porte aux arrivants. Ils n’étaient pas très pressés de le laisser entrer. Ils l’estimaient. L’estime est une monnaie qui dispense des autres. On l’appréciait, ouida ! Ce prix ne l’engraissait point. Malgré sa solidité jurassienne, il était, de fatigue et de sous-nutrition, en train de succomber, quand Solange le rencontra. C’était à une de ces nombreuses œuvres qu’elle patronnait, avec une générosité sincère et intermittente, de cœur et d’argent : une clinique d’enfants. Solange y vit Philippe se dévouer, avec rage. — cette rage qu’il avait de vaincre, partout où restait une chance, — au chevet de petits malades qui semblaient condamnés ; il y passait des nuits et sortait de ces combats, l’air hâve et exténué, mais les yeux qui flambaient de fièvre et de génie. Quand il avait vaincu, il était presque beau et semblait plus que bon, auprès du petit patient qu’il venait de sauver. L’aimait-il ? C’est possible ; pas certain… Mais avec le mal il avait eu le dernier mot !

Solange, quand elle connut la situation de Philippe, passa par une de ces crises de « pathétisme » périodique, où tout son horizon était bloqué par un unique objet. Si l’on en voulait profiter, il ne fallait point perdre de temps. Philippe ne le perdait jamais. Cet homme qui se noyait s’empara de la main qui lui était tendue. Il prit même le bras avec, et il eût pris le reste, s’il ne s’était aperçu que Solange, dans ses emballements, ne concevait pas l’idée de rapports amoureux. Elle aimait à s’exalter, mais cela ne dérangeait en rien sa tranquillité. Philippe n’avait jamais vu encore une femme s’intéresser à lui, sans y chercher son intérêt. La bonne Solange trouvait son plaisir en elle. Elle ne demandait aux autres que de ne pas la contrarier dans l’image qu’elle s’en faisait. Au fond, elle ne tenait pas à les connaître. Elle écartait de sa vue tout ce qui, chez un autre, aurait pu lui déplaire, sous prétexte que ce n’était pas « sa vraie nature » ; et elle ne gardait comme vraie que ce qui lui ressemblait.