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gneusement coupée à une lettre du fils peu ménager de papier :

— « Je m’en vas. Mon garçon, tiens-toi ferme, ne lâche point ! »

Il n’avait point lâché. Revenu au pays pour enterrer sa mère, il trouva une petite somme, amassée jour par jour, qui lui permit de payer son entretien encore pendant une année. Puis, réduit à lui-même, il passa la moitié de ses journées et quelquefois de ses nuits à gagner ce que l’autre moitié exigeait pour subsister. Nulle tâche ne le rebuta. Il fit de la naturalisation chez un empailleur, il fut modèle chez un sculpteur, garçon extra le dimanche dans des cafés de banlieue, ou le samedi soir dans des restaurants de noces ; il lui arriva même, l’hiver, un matin de famine, de se faire engager par le service de voirie dans une équipe de balayeurs de neige. Il n’hésita point à recourir aux quémandages impudents, aux secours, aux prêts humiliants, qu’on ne pourra point rendre, et qui donnent le droit à des faquins, pour une pièce de cent sous, de vous traiter sans ménagements… (Bougre ! Ils ne s’y risquaient pas deux fois, sous son regard ! Mais alors, ne pouvant plus se payer en mépris, ils se payaient en haine, prudente, derrière son dos : ils le vilipendaient.) — Il alla jusqu’à prendre, durant quelques mois de travail acharné, l’argent que lui offrait une fille du quartier. Il n’en rougissait point : car ce n’était pas pour lui, (il se tuait de privations), c’était pour le succès. Des besoins, certes, il en avait ! il eût voulu tout prendre ; mais il les jugulait. Plus tard ! Vaincre d’abord. Et pour vaincre, il faut vivre. Vivre par tous les moyens. La victoire lave tout. Et elle lui était due. Il se sentait du génie.

Il frappait l’attention des maîtres, des camarades. On lui confiait des travaux, qu’après un semblant de retouches signaient des hommes arrivés. Il se laissait exploiter, pour se créer des droits sur ceux qui barraient