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une langue redoutable, qu’elle tenait attachée ; on la savait maîtresse, par le mari mort, de bien des secrets de maison ; elle n’en usait point, mais elle les avait : il était plus prudent de payer ses services que de s’en passer. Sans scrupules d’esprit et d’action rigoureuse, un feu sombre, — (dans cette race, l’Espagne a laissé de son sang) — une passion d’énergie sans limites qui, mêlée au désabusement gaulois, ne croit à rien et agit comme si le salut et la damnation étaient au bout. Elle n’aimait que son fils. Farouche façon d’aimer ! Elle ne lui cachait rien de ce qu’aux autres elle taisait : elle le traitait en associé. Ambitieuse pour lui seul : elle se sacrifiait, et il devait se sacrifier — à qui ? À sa revanche (Sa ? Oui, la sienne, celle du fils, celle de la mère, c’est la même !) Pas de tendresse, point de gâteries, ni surtout de plaignotteries ! … « Prive-toi ! Tu te pourlécheras plus tard… » Quand il revenait de classe, — (Dieu sait par quels efforts de travail et de diplomatie elle lui obtint une bourse au collège de la ville, puis au lycée du chef-lieu !) — quand il revenait battu et humilié par les petits bourgeois, héritiers imprudents de la malveillance cachée des pères, elle lui disait :

— Sois plus fort qu’eux, plus tard ! Ils te baiseront les pieds.

Elle disait :

— Compte sur toi ! Ne compte sur personne !

Il ne compta sur personne, et bientôt il fit voir qu’on aurait à compter avec lui. Elle réussit à se tenir accrochée à la vie, jusqu’à ce que les études du fils brillamment terminées, il eût pris à Paris ses premières inscriptions de médecine. Il était dans un examen, quand elle s’alita, avec une fluxion de poitrine. Elle ne voulut pas le troubler, avant qu’il eût fini. Elle mourut sans lui. De sa rude écriture, tordue comme les griffes de la vigne au printemps, tous les points et accents bien marqués en leur place, elle mit sur une feuille blanche soi-