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Quand Solange avait retrouvé Annette, elle retrouva, du même coup, le vieux sentiment qu’elle avait eu pour elle : elle s’en éprit. Elle savait, comme tout le monde, la vie « irrégulière » d’Annette. Mais bonne — sans profondeur, aussi sans pruderie — elle ne la jugeait point mal. Il faut dire qu’elle ne la comprenait pas bien. Avec son penchant à l’indulgence, qui était le côté le plus sympathique de son aimable nature, elle pensait que sans doute Annette avait été une victime, ou bien qu’elle avait eu ses raisons sérieuses pour agir comme elle avait fait, et qu’en tout cas, cela ne regardait qu’elle ; et elle s’indigna contre l’opinion. Après avoir revu l’amie, elle s’était informée, elle apprit son courage et son abnégation ; elle conçut pour elle une admiration enflammée. Ce fut un de ces emballements périodiques, qui ne lui laissaient, pour un temps, plus de place pour aucun autre sentiment. Son mari, qu’elle alimentait de ses enthousiasmes, trouva dans celui-ci une occasion de plus de s’attendrir, sur la noblesse de cœur d’Annette, et aussi de sa femme, et aussi sur la sienne. (Est-il rien qui nous fasse mieux déguster notre beauté morale que de nous émouvoir sur celle du prochain ?) Entre les deux époux, il y eut, à l’égard d’Annette, surenchère de nobles intentions. On ne pouvait laisser seule, dénuée de sympathies, cette pauvre femme, victime de l’injustice sociale ! Les Mouton-Chevallier allèrent trouver Annette, au haut de ses cinq étages. Ils la surprirent en train de faire son ménage. Ils ne l’en trouvèrent que plus touchante ; et sa froideur leur parut d’une admirable dignité.