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Solange avait une petite figure ronde et rustique de madone gothique : l’air vieillotte, enfantine, les yeux riants et plissés, le nez mignon, la bouche mignarde, le menton un peu lourd, la peau fine et le teint coloré. Elle aimait à parler de sérieuses pensées, sur un ton sérieux, très sérieux, contrastant d’une façon comique avec son bon visage rieur, qui s’appliquait sagement à ne pas l’être ; mais sa parole se hâtait, de peur de perdre le fil de ses graves idées ; et il arrivait qu’en effet, elle s’arrêtât au milieu, un vide dans la tête :

— Qu’est-ce que je voulais dire ?…

Rarement, ses auditeurs lui soufflaient la réponse, car ils n’écoutaient guère. Mais ils ne lui en voulaient pas. Solange n’était pas de ces péroreuses, qu’il faut suivre dans leurs discours insipides. Elle était sans orgueil et prête affectueusement à s’excuser de vous avoir ennuyé. Mais, de nature, incapable de suivre une pensée, elle avait une aspiration naïve à penser et une immense bonne volonté. Il n’en sortait pas grand’chose : les pensées restaient en route ; les graves livres ouverts, Platon, Guyau, Fouillée, bâillaient, à la même page, des semaines ou des mois ; et les beaux grands projets, idéalistes, altruistes, — œuvres d’assistance sociale, ou systèmes nouveaux d’éducation — étaient des joujoux d’esprit, qu’elle ne tardait pas à oublier dans les coins, sous les meubles, jusqu’au prochain hasard qui les lui faisait retrouver. Bonne petite bourgeoise, douce, aimable, jolie, raisonnable, pondérée, un tantinet pédante, pas gênante, plaisante, qui, sans pose, s’imaginait qu’elle