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— Est-ce qu’il est souffrant ?

— Non, mais il est très délicat.

Elle parla avec fierté des soins que réclamait cette santé. Annette, avertie de la susceptibilité de Ruth, ne lui posait pas de questions, attendant qu’elle parlât. Ruth ne disait plus rien, elles allaient se séparer, quand Annette le souvint… Elle offrit à Ruth une tâche — la révision d’un travail d’étrangère — qui lui était commandée et dont elle n’avait pas le temps de se charger. Ruth témoigna aussitôt une vive gratitude : l’argent jouait pour elle un rôle capital. Annette lui demanda son adresse, pour le cas où elle aurait d’autres commandes à lui transmettre. Ruth hésita, répondit évasivement. Annette, impatientée, dit :

— C’est pour vous être utile. En tout cas, moi, j’habite…

Et elle dit son adresse. Ruth donna la sienne, à contrecœur. Annette, rebutée, décida de ne plus s’occuper d’elle.

Mais Ruth vint la trouver, quelques semaines après. Elle s’excusa d’avoir manqué d’amabilité. Et cette fois, elle confia un peu (pas beaucoup) de sa vie. D’une famille de riches cultivateurs, elle s’était brouillée avec son père, parce qu’elle avait voulu venir à Paris et s’y faire professeur. Le père l’ayant blessée dans son amour-propre, elle avait juré de ne jamais rien accepter de lui. Elle voulut gagner sa vie seule. Elle s’y épuisa. Malgré son énergie, la pensée lui était une fatigue ; elle peinait sur les livres comme une bête au labour ; le sang lui gonflait les tempes : il lui fallait s’arrêter, congestionnée. Un commencement de neurasthénie la contraignit de renoncer aux examens qu’elle devait passer. Elle se rabattit sur les leçons particulières. Elle arrivait à gagner, péniblement, sa vie, quand elle s’éprit d’un homme qu’elle épousa, et qui n’était pour elle qu’un fardeau de plus. — Mais ceci, elle ne le dit point : Annette