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— Voyons, ne vous affectez pas ! Un jour, c’est l’une qui perd ; un autre jour, c’est l’autre.

— Moi, c’est tous les jours.

Annette lui rappela leur première rencontre, où Ruth avait pris la place. Ruth ne répondit pas et cheminait, l’air morne, à côté d’Annette.

— Est-ce que je ne peux pas vous aider ? dit Annette. La rougeur de nouveau se montra au front. Fierté blessée, émotion ? Ruth dit sèchement :

— Non !

Annette insista :

— Je le ferais avec plaisir.

Et, d’un geste familier, elle lui saisit le bras. Ruth, surprise, serra nerveusement la main d’Annette sous son bras ; et, détournant la tête, elle se mordit la lèvre ; puis, elle s’arracha, irritée, et partit.

Annette la laissa s’éloigner, en la suivant des yeux. Elle la comprenait : oui, on n’a pas le droit de faire don de sa pitié à qui ne vous la demande pas…

Quelques jours après, entrant chez un laitier, elle vit Ruth qui faisait des emplettes. Elle lui tendit la main. Cette fois, Ruth la prit, mais d’un air glacé. Elle faisait effort cependant pour paraître moins maussade ; elle dit quelques paroles banales ; et Annette, contente de cette pauvre avance, y repartit. Les deux femmes s’entretinrent du prix de ce qu’elles achetaient. Annette s’étonna, sans le montrer, que Ruth dépensât plus qu’elle en œufs frais et lait cacheté. Ruth mettait de l’ostentation à payer devant elle. En sortant, Annette dit :

— Comme c’est cher, de vivre !

Et elle s’excusait presque des œufs qu’elle avait pris, disant :

— C’est pour mon petit.

Et Ruth se rengorgeant :

— Moi, c’est pour mon mari.

Annette ignorait tout de sa vie. Elle demanda :