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Rejetée par son fils, Annette se durcit comme lui. Le cœur volontairement fermé à l’amour, l’esprit d’autant plus libre, en l’absence d’objet qui nourrît sa tendresse, il lui fallait occuper sa faim intellectuelle et son besoin d’agir. Elle travaillait tout le jour, lisait le soir, la nuit, dormait solidement. Marc, rancunier, enviait et méprisait la santé de cette femme vigoureuse, le pouvoir qu’elle avait, semblait-il, de ne pas se tourmenter.

Annette, cependant, souffrait de la privation de ne pouvoir partager sa pensée avec un compagnon. Elle remplissait le vide par le travail, l’oubli actif… Mais le travail pour le travail est lui-même si vide !… Et ces forces qu’on sent en soi, inutiles, où les sacrifier ?

Sacrifier !… Ce besoin de sacrifice !… Annette le trouvait autour d’elle, partout, pitoyable souvent, et quelquefois absurde !… Car, bonne observatrice, elle ne cessait d’explorer les visages et les âmes tout au long de ses journées ; elle se distrayait de ses peines en plongeant dans celles des autres. Peut-être la curiosité l’emportait-elle sur la pitié, dans cette période où son cœur s’était pétrifié (elle le prétendait), au spectacle des souffrances, et surtout des défaites et des abdications.

Parmi les femmes, comme elle aux prises avec la société pour lui arracher les moyens d’exister, combien étaient broyées, bien moins encore par la rudesse des choses que par leur propre faiblesse et leur renoncement ! Presque toutes étaient exploitées par une affection, et ne pouvaient se passer d’être exploitées. On eût dit que c’était leur seule raison de vivre, — dont elles meurent…