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l’ennui d’un temps qui s’achemine à la destruction. Il a le sentiment aigu de l’abîme…

Mais sa mère n’en voit rien. Elle voit un garçon maussade, prétentieux, révolté, puéril, maladivement susceptible, grandiloquent et faiseur d’embarras, qui aime parfois à tenir des propos graveleux, et qu’à d’autres moments un mot libre effarouche. Surtout, elle s’irrite de son ricanement. Elle n’en soupçonne point le sens amer, encore moins le défi à la mauvaise chance. Il ressent cruellement l’injustice qui lui est faite : il est (ou se juge) sans force, sans beauté, sans talent, sans valeur ; il achève de s’accable, en ajoutant à ses défaites réelles d’autres qu’il imagine ; il conspire avec toutes les apparences, qui peuvent l’humilier… Ces deux petites ouvrières, qui passent à côté de lui en riant, il croit qu’elles rient de lui, il ne se doute pas qu’elles rient pour l’aguicher, et qu’elles ne trouvent pas si laid son minois rougissant de fille effarouchée… Il croit lire dans les yeux de ses professeurs la dédaigneuse pitié pour sa médiocrité… Il croit que ses camarades plus robustes méprisent sa faiblesse et démasquent sa lâcheté : car, nerveux à l’excès, il a ses moments de pusillanimité ; et, comme il est sincère, il se les avoue, il se juge déshonoré ; pour se punir, il s’oblige secrètement à des imprudences dangereuses, qui lui mettent la sueur froide au front et le réhabilitent un peu — si peu ! — à ses propres yeux… Ce petit Nicodème, c’est de lui qu’il ricane, souvent, et de ses défaites ! Mais il en veut au monde qu’il l’a fait comme il est — et, d’abord, à sa mère.

Elle ne comprend pas son air hostile… Comme il est égoïste ! Il ne pense qu’à lui…

Il ne pense qu’à lui ?… Qu’est-ce qu’il deviendrait, s’il ne pensait à lui ? S’il ne se défendait, qui le défendrait ?… Ils restent seuls et murés, l’un en face de l’autre. L’heure des effusions n’est plus. Annette commence à répéter la lamentation des mères :