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Il n’avait pas d’ami. Ce garçon de treize ans, qui se trouvait, matin et soir, dans une classe, avec une trentaine d’enfants, restait séparé de ses camarades. Plus petit, il aimait à bavarder, jouer, courir, crier. Depuis un an ou deux, il avait des accès de mutisme, des fringales d’isolement. Cela ne signifiait point qu’il n’eût plus besoin de compagnons. Il en avait peut-être plus besoin qu’avant. Justement ! C’était trop : il avait trop à demander et à donner… Et partout des épines, dans ce buisson de printemps ! Un amour-propre hérissé. Un rien le froissait, et il avait peur d’être froissé, et surtout de le montrer : car c’est une faiblesse, et il faut se garder de donner prise à l’ennemi : (il y en a un dans tout ami).

Ce qu’il avait saisi, ou plutôt imaginé de son état-civil, du passé de sa mère, le tenait dans une gêne absurde, ridicule, sourcilleuse. Ses lectures aidant, il s’était convaincu qu’il était un enfant « naturel ». (Ses livres romantiques l’appelaient d’un nom plus dru). Il trouvait moyen de s’en faire un sujet de fierté. Il n’était même pas loin de renifler dans l’archaïque injure un fauve relent de noblesse. Il se jugeait intéressant, à part des autres, solitaire, un peu damné. Il ne lui eût pas déplu de se ranger parmi les bâtards sataniques de Schiller et de Shakespeare. Cela lui donnait le droit de mépriser le monde, en tirades hautaines, — in petto.

Mais quand il se retrouvait dans « le monde », — dans sa classe de lycée, parmi les camarades, il était intimidé, alourdi de son secret, soupçonneux qu’on pût le