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de plus en plus se détachait d’Annette. Depuis des années, l’antagonisme s’annonçait. Mais jusqu’à ces derniers temps, il était resté, de la part de l’enfant, voilé, sournois, prudent. Pendant la longue période où il avait vécu en tête à tête avec Annette, il se serait bien gardé d’entrer en discussion ; la partie n’était pas égale ; avant tout, avoir la paix ! Il laissait parler sa mère. Ainsi, elle lui livrait, une à une, ses faiblesses ; et lui, ne livrait rien. — Mais maintenant qu’il avait trouvé en sa tante une alliée, il ne cacha plus son jeu. Naguère, que de fois sa mère, impatientée de ce petit mollusque, qui rentrait sa pensée dans sa coquille, dès qu’on y voulait toucher, lui avait dit :

— Allons, sors de ton trou ! Montre un peu cette caboche ! Ne sais-tu pas parler ?

Il savait. Annette pouvait être satisfaite ! Il parlait maintenant… Il eût mieux fait de continuer à se taire !… Quel petit discuteur ! Ah ! il ne fuyait plus la contradiction. Il ne laissait rien passer de la bouche de sa mère, sans ergoter obstinément. Et de quel ton impertinent !

C’était venu tout d’un coup ; et, sans doute, Sylvie y avait sa part de responsabilité, en encourageant malignement cette fronde. Mais la vraie cause était plus intime. Ce changement d’attitude répondait au changement de nature, aux approches de la crise de puberté. L’enfant se transformait : en quelques mois, il avait pris un autre caractère, des manières quinteuses, brutales, entrecoupées de « revenez-y » de son vieux mutisme ; mais ce n’était plus le silence poli, conciliant, un peu fourbe, de l’enfant qui voulait plaire ; on le sentait maintenant hostile et hérissé… Sa brusquerie de façons, son impolitesse grossière, l’âpreté inexplicable avec laquelle il répondait aux affectueuses avances, faisaient saigner la sensibilité d’Annette. Assez armée contre le monde, elle ne l’était point contre ceux qu’elle aimait ; un mot rude de