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sait. Annette se retira sur la pointe des pieds ; elle referma la porte sur le palier, et sonna. Sylvie vint ouvrir ; elle avait les yeux rouges ; elle dit que c’était le rhume, et causa avec un entrain bruyant et vulgaire. Elle se mit à raconter une de ses éternelles histoires scabreuses, dont elle était approvisionnée. Annette avait le cœur serré. Se pouvait-il qu’elle jouât ! — Elle ne jouait qu’à moitié. Beaucoup plus que les autres, c’était elle qu’elle voulait tromper. Un désespoir foncier, sans jour et sans issue, l’avait amenée à une sorte de mépris bouffon de la vie. Si elle ne voulait pas tomber, nulle autre alternative que l’oubli et ce masque d’insouciance cynique, qui finissait par se substituer aux traits du vrai visage. Tout n’est rien. Rien ne vaut la peine. Honnêteté, honneur, des blagues !… Ne rien prendre au sérieux. Rire de la vie. En jouir. Le travail seul subsiste, parce que c’est un besoin et qu’on ne peut s’en passer…

Bien d’autres choses subsistaient sous ces destructions. L’instinct était chez Sylvie plus solide que la pensée. Et quand elle rejetait tout, Annette et le fils d’Annette lui restaient incrustés sous la peau. Ils ne formaient qu’un, eux trois ! Mais cet amour d’instinct, presque matériel, n’empêchait pas les mauvais sentiments. Sylvie, qui n’était pas tendre pour elle, ne l’était pas non plus pour Annette. Elle se montrait agressive et railleuse à l’égard de sa sœur, dont le sérieux moral, la tristesse taciturne, lourde de souvenirs, l’irritait, comme un reproche muet.

Un reproche, en effet. Annette n’avait pas la charité de le lui épargner. Elle voyait bien pourtant que Sylvie fuyait la peine, comme un gibier le chien ; et elle la plaignait. Elle plaignait la misère de la nature humaine, mais en la méprisant de chercher son salut aux dépens de ses trésors les plus chers et d’être toujours prête à trahir ses affections sacrées, pour tromper la poursuite féroce de la douleur. Elle en était ulcérée ; car dans son propre cœur