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assumer les peines et les charges de la maternité, sans avoir, au préalable, subi l’estampille de leur mariage officiel, mais cela ne se pardonne pas à une femme de leur classe !… Passe pour moi ! Ce que nous faisons, nous autres, de notre corps, n’est pas de conséquence. Et même, ils y trouvent leur compte, tes bourgeois ; aussi, les voit-on prêts à célébrer, comme dans Louise, l’amour libre, chez les filles du peuple. Mais une fille bourgeoise est une chasse réservée. Tu es leur propriété. On peut bien t’acheter par contrat, devant notaire ; tu ne peux pas te donner, à la face du ciel, et dire : « C’est mon droit. » Où irions-nous, grand Dieu ! si la propriété se révoltait contre son maître, et disait : « Je suis libre. Vienne qui plante !… »

Car, même indignée, Sylvie ne pouvait parler sérieusement.

Annette sourit, et dit :

— Les mœurs sont faites par l’homme. Je sais. Il condamne la femme qui ose avoir ses enfants, en dehors du mariage, sans se vouer pour la vie au père de ses enfants. Et pour beaucoup de femmes, c’est là un esclavage, car elles n’aiment pas leur mari. Beaucoup resteraient libres et seules avec leurs petits, si elles étaient braves. Je tâcherai de l’être.

Sylvie dit avec pitié :

— Pauvre innocente ! Tu as vécu protégée des duretés de la vie par les doubles fenêtres de cette bourgeoisie qui t’enferme, avec ses préjugés, mais avec ses privilèges. Du jour où tu en sortiras, elle ne te laissera plus rentrer. Et tu verras un peu ce que c’est que la vie !

— Eh bien, Sylvie, c’est juste ; tu dis vrai, j’ai été une privilégiée ; il est bon que j’aie ma part, à mon tour, de ce que vous souffrez.

— Trop tard ! Il faut apprendre, dès l’enfance. À ton âge, on ne peut plus… Heureusement, tu es riche, tu ne connaîtras jamais la peine matérielle. Mais l’autre, la