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Le jour suivant, le mari inquiet vint raconter à Annette que Sylvie ne s’était pas couchée. Elle ne pleurait pas, elle ne se plaignait pas, elle se rongeait en silence. Elle reprit impitoyablement son travail d’atelier : c’était un devoir mécanique, plus impérieux que la vie. On ne s’apercevait de son état qu’à certains accidents : des erreurs qui, avant, ne lui arrivaient jamais : une robe coupée de travers, qu’après elle détruisit, sans un mot ; elle se blessa aussi les doigts avec ses ciseaux. On la décida à se coucher la nuit. Mais elle restait assise dans le lit, sans dormir, et elle ne répondait pas à ce qu’on lui disait.

Et chaque matin, avant de paraître à l’atelier, elle faisait visite au cimetière.

Cela dura quinze jours. Puis, elle disparut. Au milieu de l’après-midi. Des clientes vinrent, attendirent. À l’heure du souper, elle n’était point là. Dix heures, onze heures passèrent. Le mari redoutait un acte désespéré. Vers une heure, elle rentra ; et, cette nuit, elle dormit. On ne put rien savoir d’elle. Mais le lendemain soir, de nouveau, elle s’éclipsa. Et le surlendemain, elle recommença. Maintenant, elle causait, elle semblait détendue. Mais elle ne disait pas où elle était allée. Les ouvrières jasaient. Le brave mari haussait les épaules avec pitié, et disait à Annette :

— Si elle me trompe, je ne peux pas lui en vouloir ; elle a trop souffert… Et même, si cela peut l’arracher à son obsession,… eh bien, soit !…

Annette réussit à saisir Sylvie au passage ; elle lui fît entendre discrètement l’inquiétude, les soupçons, et la peine que causaient ses sorties. Sylvie, qui d’abord ne voulait pas s’arrêter, parut indifférente à ce qu’on pouvait penser, mais elle fut touchée de la bonté du mari, et prise d’un besoin subit de se confier, elle emmena Annette dans sa chambre, dont elle ferma la porte ; elle s’assit tout près d’elle, et mystérieusement, à mi-voix,