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travaillait pas volontiers, musardant, furetant, était allée regarder par la fenêtre si Marc ne venait pas, et elle s’était penchée… La pauvre petite n’avait même pas eu le temps de comprendre… — Quand Annette, chancelante, fut enfin dans la rue, elle vit un attroupement, Sylvie comme une démente et, dans ses bras, le petit corps disloqué, jambes et tête pendantes, comme un agneau égorgé. La brune toison voilait le crâne fracturé ; on voyait seulement un peu de sang au nez ; les yeux encore ouverts semblaient interroger… La mort avait répondu.

Annette se fût jetée par terre, en criant d’horreur, si la fureur sauvage de Sylvie n’eût pris toute la douleur du monde. Elle était tombée à genoux, sur le pavé, presque couchée sur l’enfant, qu’elle soulevait, qu’elle secouait, avec des cris enragés. Elle l’appelait, elle l’appelait, elle insultait… Qui ? Quoi ? Le ciel, la terre… Elle écumait de désespoir et de haine…

Et, pour la première fois, Annette vit dans sa sœur les passions forcenées, que Sylvie portait sans le savoir au fond de sa nature, et dont la vie lui avait jusqu’alors épargné l’emploi. Et elle les reconnut, comme étant de son sang.

L’excès de cette souffrance ne lui permettait pas de s’abandonner à la sienne. Il fallait qu’elle fût, par réaction, forte et calme. Elle le fut. Elle prit Sylvie par les épaules. La vocifératrice se débattait ; mais Annette, penchée sur elle, la souleva ; et Sylvie, subissant cette impérieuse douceur, se tut, releva la tête, vit le cercle autour d’elle, jeta un regard farouche et, l’enfant dans ses bras, sans un mot, elle rentra.

Elle venait de passer le seuil de la maison. Annette rentrait à sa suite, quand au coin de la rue elle aperçut Marc qui arrivait. Et malgré son amour déchiré pour la pauvre petite, son cœur bondit dans sa poitrine :

— Quel bonheur que ce ne soit pas lui !