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Les garçons des générations précédentes rêvaient de soldats, de sauvages, de pirates, de Napoléon, d’aventures océaniques. Marc rêvait d’avions, et d’autos, et de sans-fil. Autour de lui, la pensée du monde dansait une ronde vertigineuse ; un délire de mouvement faisait vibrer la planète ; tout courait et volait, fendait l’air et les eaux, tournait, tourbillonnait. Une magie d’inventions démente transmuait les éléments. Plus de limites au pouvoir, et donc plus au vouloir ! L’espace et le temps… ( « Passez, muscade ! » )… se volatilisaient, escamotés par la vitesse. Ils ne comptaient plus. Et les hommes, encore moins. Ce qui comptait : Vouloir, Vouloir illimité ! Marc connaissait à peine les rudiments de la science moderne. Il lisait, sans comprendre, une revue scientifique que recevait sa mère ; mais il était, sans comprendre, baigné, depuis sa naissance, dans le miracle de la science. Annette ne le remarquait pas, car elle avait appris la science par la voie scolastique ; elle ne l’avait pas respirée, en vivant. Elle voyait des figures à la craie et des chiffres sur le tableau, des raisonnements. Marc imaginait des forces fabuleuses. Justement parce qu’il n’était pas gêné par sa raison, il était emporté par un lyrisme aussi vague et brûlant que celui qui gonflait les voiles des Argonautes. Il concevait d’extraordinaires exploits : percer le globe d’un tunnel, de part en part ; s’élever sans moteur dans l’air, relier Mars à la Terre, en pressant un bouton faire sauter l’Allemagne, — ou bien un autre État (il n’avait pas de préférence !) — Sous les mots mystérieux de volts, d’ampères, de radium, de carburateur, qu’il employait avec aplomb, à tort et à travers, il évoquait des contes des Mille-et-une-Nuits. Comment diable sa pensée se fût-elle abaissée de si haut vers une stupide petite fille ?

Mais le corps et la pensée sont deux frères jumeaux, qui ne vont point du même pas. Dans leur double crois-