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vengeance… Comment ? Quel mal lui faire ? Le plus mal ! Où l’atteindre ?… Hélas ! elle n’avait que ses griffes d’enfant ! Désolant !… Puisqu’elle ne pouvait rien (pour l’instant), elle feignait l’indifférence… Mais c’était dur de ne pouvoir rien ; et c’était dur aussi de faire l’indifférente, quand on avait toujours envie de rire, ou de pleurer. Une telle contrainte était contre nature : Odette en était abattue ; elle tombait dans une prostration, jusqu’à ce que brusquement un réveil impérieux de sa gaieté d’enfant et un besoin de mouvement la rejetassent dans ses jeux.

Annette contemplait, devinait — inventait un peu — ces désespoirs en miniature, et elle se souvenait avec pitié des siens. Qu’elle en avait dépensé, elle aussi, de fièvre à aimer, désirer, se ronger, et pour qui, et pour quoi ? À quoi cela sert-il ? Une telle disproportion avec l’objet borné de la nature ! La gaspilleuse de forces ! Et ces forces d’aimer, elle les distribue au hasard ! Les uns ont trop, les autres pas assez. Annette se rangeait avec Odette parmi celles qui ont trop, et son fils parmi ceux qui n’ont pas assez. C’était lui le plus heureux. Pauvre petit !…

Il n’était pas si pauvre ! Il n’avait pas une vie du cœur moins riche que celle d’Odette, ni un débat de pensées moins vif — (mais il ne les disait pas !) — ni des sentiments moins violents — (mais leur fougue se portait vers une autre direction). Oui, il était indifférent à ce qui occupait ces femmes. Mais son esprit était agité de tout autres passions. Plus riche cérébralement et beaucoup moins absorbé par la vie plus tardive de ses sens, ce petit homme, qui sentait monter la marée obscure du Désir, en tournait les énergies, en vrai homme, vers l’action et la domination. Il rêvait de telles conquêtes que celle d’un cœur féminin lui eût paru bien pauvre — si seulement, à cette heure de l’enfance, il y eût pensé !