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contre les déceptions que lui causait son idole écornée, se développaient fâcheusement en lui certaines idées précoces, très naïvement cyniques, sur lesquelles il vaut mieux ne pas insister. Il s’efforçait de paraître — (à ses yeux : il ne songeait pas, pour le moment, aux autres) — un homme blasé. Mais de tous ses sens aveugles d’enfant avide et innocent, il humait, inquiet, le charme énigmatique et l’animalité de l’être féminin. Il éprouvait pour la femme une attraction dégoûtée.

Attraction. Répulsion. Tout vrai homme la connaît. À cette heure de la vie, celui des deux sentiments qui dominait chez Marc était la répulsion. Mois cette répulsion même avait une saveur acre qui lui faisait trouver fades les autres sentiments et les êtres de son âge. Il dédaignait Odette, et jugeait cette petite fille au-dessous de sa dignité.

Très petite fille, en effet ; et pourtant, femme, étrangement. En dépit des théories de ces illustres pédagogues, qui divisent l’enfance en compartiments cloisonnés, un pour chaque faculté, — tout est déjà dans l’enfance, dès la petite enfance, tout ce qu’on est et sera, le double Être du présent et de l’avenir (pour ne rien dire du Passé, immense, impénétrable, qui commande l’un et l’autre). — Seulement, pour l’entrevoir, il faut être aux aguets. Dans le crépuscule matutinal, il n’apparaît que par lueurs.

Ces lueurs étaient, chez Odette, plus fréquentes que dans la moyenne des enfants. Fruit précoce. Très saine physiquement, elle portait un petit monde passionnel, qui dépassait ses dimensions… D’où venait-il ? Des au-delà d’Annette et de Sylvie ? Annette s’y reconnaissait, quand elle avait l’âge d’Odette. Mais elle se trompait, car elle avait été beaucoup moins précoce ; et lorsque, d’après Odette, elle reconstituait des passions de sa propre enfance, oubliées, de bonne foi elle antidatait des sentiments qui appartenaient à ses quatorze ou quinze ans.