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— Je ne veux pas me marier. Je ne suis pas faite pour ces liens exclusifs. Tu me diras que des millions de femmes s’en accommodent, que je m’en exagère le sérieux. Mais je suis ainsi, je prends tout au sérieux. Si je me donne, je me donne trop ; et alors, j’étouffe ; il me semble que je me noie, avec une pierre au cou. Peut-être que je ne suis pas assez forte ! Ma personnalité n’est pas affermie. Des liens trop intimes — des lianes — me sucent mon énergie ; et il ne m’en reste plus assez pour moi. Je m’évertue à plaire à « l’autre », à ressembler à l’image de ce qu’il voudrait que je fusse ; et cela finit mal : car à trop renoncer à sa nature, on perd le respect de soi, et l’on ne peut plus vivre ; ou bien, on se révolte, et on fait souffrir… Non, je suis une égoïste, Sylvie. Je suis faite pour vivre seule.

(Mais bien qu’elle ne mentît point, elle ne disait que les prétextes qui lui masquaient la vérité.)

— Tu m’amuses, dit Sylvie. Tu es la femme la moins faite pour te passer d’amour.

— Je le hais, dit Annette. Mais il ne m’atteindra plus, maintenant. Je suis à l’abri.

— Bel abri ! fit Sylvie. Il ne t’abritera de rien du tout ; et c’est toi qui devras l’abriter. Toi qui ne veux pas te lier, est-ce que tu as réfléchi à l’entrave qu’il sera pour toi, ce petit paquet ?

— Le bonheur ! Avoir les bras remplis, ces bras si longtemps vides !

— Tu parles, avant de savoir. Qui l’élèvera ?

— Moi.

— Et le père ? Il a des droits sur son enfant.

Une nouvelle vague irritée passa sous les sourcils… Des droits ! Des droits sur son enfant !… Son enfant ! L’enfant de cet homme, de cette minute aveugle, qu’il a déjà oubliée, et qui me lie pour la vie !… Jamais !… Mon enfant, à moi !… Elle dit :

— Mon fils n’est qu’à moi.