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leçons pour le lendemain ; Annette reprise une robe. Ni l’un ni l’autre ne pense à ce qu’il fait. Ils s’en remettent à leur machine, le serviteur complaisant. Le rêve coule. Annette suit le courant. L’enfant l’observe rêvant… Voilà un spectacle intéressant, plus que les leçons répétées par ses lèvres !…

Marc semblait n’avoir rien vu de ce qui, dans ces années se passait autour de lui ; il n’eût rien su expliquer de ce qui occupait sa mère. Et rien ne lui échappait ! L’amour de Julien. L’amour pour Julien. Obscurément, il en avait été averti. Et une jalousie, dont il ne prenait pas conscience, s’était réjouie de la finale déconvenue, comme un petit cannibale qui danse autour du poteau. Sa mère restait à lui. Son bien ! Il y tenait donc ? Il ne l’appréciait que du jour où un autre avait voulu le lui prendre. Il la regardait, — ces yeux, cette bouche, ces mains. Il s’attachait à chacun de ses traits, à la façon des enfants qui se perdent en un détail comme en un monde… (Ce n’est pas toujours faux !…) Une ombre de la paupière, un retroussis de la lèvre, sont de mystérieux et vastes paysages. Ils fascinaient l’esprit de l’enfant. Cette abeille !… Son regard voletait, tout le long de la bouche entr’ouverte… La porte rouge… Il s’engouffrait au fond, ressortait… À force de la scruter, il oubliait ce qu’il regardait, la femme… Caressante torpeur… Il s’en réveillait, pour se rappeler (Pouah !) la classe du lendemain, un camarade méprisé, une mauvaise place qu’il avait cachée à sa mère… Et puis, il était repris par la lueur de la lampe dans l’ombre de la pièce, par le silence de la chambre dans le grondement de Paris, — cette sensation d’îlot, de barque sur la mer, et l’attente des rivages, de ce qu’il va trouver, et de ce qu’il emportera sur son bateau chargé de ses biens, de ses espoirs, de ce qu’il aura conquis des dépouilles de la vie. Il y mettait sa mère, ses beaux cheveux blonds et ses sourcils arqués… Le petit Viking ! Comme il l’aimait soudain !