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— Annette, assez de folies ! Il y a temps pour tout. Roger te doit le mariage. Et tu dois l’exiger.

Annette fit un geste lassé.

— Pourquoi revenir là-dessus ? Je t’ai dit que Roger me l’a offert, et que j’ai refusé.

— Eh bien, quand on a été sot, il faut savoir le reconnaître et changer.

— Je n’ai aucune envie de changer.

— Pourquoi ne veux-tu pas ? Cet homme, tu l’aimais. Je suis sûre que tu l’aimes encore. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Annette ne voulait pas répondre. Sylvie insistait, cherchant indiscrètement au désaccord des raisons d’ordre intime. Annette eut un mouvement violent. Sylvie la regarda, et fut stupéfiée. Annette avait la bouche méchante, le sourcil froncé, l’œil irrité.

— Qu’est-ce que tu as ?

— Rien, fit Annette, se détournant avec emportement. Sylvie venait de réveiller une blessure, qu’elle voulait oublier. Par une contradiction, qu’elle n’aurait pu expliquer, et qui sortait du fond de la nature, elle qui se réjouissait de la venue de l’enfant, elle en voulait à l’homme qui le lui avait donné, elle ne se pardonnait pas la surprise de ses sens et l’émotion qui l’avait ainsi livrée, — elle ne les pardonnait pas à celui qui en avait profité. Cette révolte de l’instinct avait été la vraie raison cachée — (à elle comme aux autres) — de sa fuite loin de Roger, et de son refus de le revoir. Au fond, elle le haïssait. Elle le haïssait de ce qu’elle l’avait aimé. Mais comme son intelligence était loyale, elle refoulait ces instincts qu’elle jugeait mauvais. Pourquoi Sylvie la forçait-elle à en prendre conscience ?…

Sylvie la regardait, et elle n’insista point. Annette, reprenant son calme, honteuse de ce qu’elle avait laissé voir, vu elle-même, et, tâchant de se donner le change, dit d’une voix tranquille :