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Annette faisait la fanfaronne. Tout n’était pas délectation. Sa vie claustrée la gênait souvent aux entournures. Elle était de cette espèce de nonnes, qui n’auraient pas trop d’une abbaye à gouverner et d’un Dieu à aimer. L’abbaye se réduisait au logement du cinquième, et le Dieu à son enfant. C’était infime et immense. Son compte n’y était pas ; mais elle le parfaisait : un virement de rêves. De cette monnaie-là, elle était bien pourvue. Si sa vie quotidienne était apparemment puritaine et mesquine, elle prenait sa revanche dans sa vie imaginaire. Là, sans heurt et sans bruit, continuait de couler « l’Enchantement » éternel.

Mais comment s’introduire, à sa suite, dans ces retraites de l’âme ? Le rêve intérieur n’est point tissé de mots. Et, pour se faire comprendre, pour se comprendre soi-même, il faut user de mots… Cette pâte lourde et gluante, qui sèche au bout des doigts !… — Annette éprouve aussi le besoin, pour s’expliquer à soi, de fixer parfois son rêve en des récits à voix basse. Mais ces récits ne sont pas des transcriptions fidèles — une transmutation, à peine, — ils se substituent au rêve, mais ils ne lui ressemblent pas. Faute de pouvoir saisir l’esprit dans son essor, le cerveau se fabrique des contes qui l’occupent et le trompent sur la grande féerie ou le drame intérieur…

Une immense plaine liquide, une vallée diluvienne qui coule à pleins bords, fleuve sans rives, de feu, d’eau, et de nuées ; tous les éléments y sont encore mêlés ; mille courants s’enchevêtrent, ainsi qu’une chevelure ; mais une