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tait ses griefs. Mais elle ne perdait pas une occasion d’en entendre parler ; et elle ne renonçait pas à l’idée de la régenter. Si elle ne pouvait en fait, tout au moins en pensée ! Elle n’ignorait point la vie austère que menait sa sœur ; et elle ne comprenait pas qu’Annette s’y condamnât. Elle la connaissait assez pour savoir qu’une femme de sa sorte n’était pas faite pour cette contrainte morale, ce dénuement de joie. Comment pouvait-on ainsi forcer sa nature ? Qui l’obligeait au veuvage ? À défaut de mari, il ne manquait pas d’amis qui eussent été heureux d’alléger sa peine. D’y consentir, Sylvie eût peut-être moins estimé sa sœur ; mais elle l’eût sentie plus proche.

Elle n’était pas la seule à ne pas comprendre Annette. Annette ne comprenait guère mieux les raisons de sa vie monastique, cette sorte de peur farouche qui la faisait se rejeter en arrière, quand s’offrait non pas même la possibilité, mais l’idée d’une de ces joies naturelles qu’aucune loi religieuse ou sociale ne pouvait lui défendre : (elle ne croyait pas à une morale d’église ; et n’était-elle pas maîtresse d’elle-même ?)…

— De quoi ai-je peur ?

— De moi…

Son instinct ne la trompe pas. Pour une telle nature, chargée de passions, de désirs, d’aveugle sensualité, il n’est pas de volupté innocente, pas de jeux sans conséquence : le moindre choc peut la livrer à des forces, dont elle ne serait plus maîtresse. Déjà, elle a reconnu l’ébranlement moral causé par ses brèves rencontres passées avec l’amour. Le danger serait bien autre, aujourd’hui ! Elle n’y résisterait pas. Si elle se donnait au plaisir, elle serait emportée tout entière, il ne lui resterait plus la foi dont elle a besoin… Quelle foi ? La foi en soi. Orgueil ? Non. Foi en cet inexplicable, ce divin qui est en elle et qu’elle veut transmettre, non souillé, à son fils. Une femme comme elle n’a le choix,