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Et puis, il voulait voir. La bête, l’œil gluant, à demi arraché, était couchée sur le côté, l’arrière-train rigide, mort déjà ; le flanc soufflait, et la tête tâchait de se soulever, en grondant de détresse. Elle ne pouvait pas mourir. Les enfants se tordaient. Marc regardait, pétrifié. Et brusquement, il saisit un caillou et se mit à taper furieusement sur la tête. Un cri rauque le perça. Il tapa, tapa plus fort, comme un enragé. Il tapait encore, quand c’était fini…

Les gamins le regardaient, gênés. Un d’eux essaya de blaguer. Du sang aux doigts crispés encore sur la pierre, Marc les fixait, blême, sourcils froncés, le regard mauvais et la lèvre tremblante. Ils partirent. Il les entendit rire au loin et chanter. Serrant les dents, il rentra. Et chez lui, il ne dit rien. Mais la nuit, dans le lit, il cria. Annette le prit dans ses bras. Le tendre corps tremblait…

— Quel est ce vilain rêve ? Mon ange, ce n’est rien… Et lui, pensait :

— Je l’ai tué. Je sais ce que c’est que la mort.

Orgueil affreux de savoir, d’avoir vu et détruit ! Et un autre sentiment, qu’il ne peut pas comprendre, d’horreur et d’attirance… L’étrange lien qui unit le tueur et le tué, les doigts englués de sang et la tête broyée… À qui des deux est le sang ?… La bête ne souffrait plus. Il conservait encore ses dernières angoisses…

Heureusement, à cet âge, l’esprit ne peut se tenir longtemps à la même pensée. Celle-là était dangereuse, s’il l’avait dû fixer. D’autres images passèrent, leur courant rafraîchit le cerveau. Mais l’idée resta au fond : sa présence se trahissait, de loin en loin, par de sombres luisances, de lourdes bulles d’air, qui montaient de la vase du ruisseau. Sous la croûte molle de l’être, un dur noyau caché : la mort, la force qui tue… On me tue, et je tue… Je ne veux pas me laisser tuer… Au plus fort ! Je combats…

Orgueil, orgueil obscur, qui soutient sa faiblesse,