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part, comme un clou dans un mur, une chose où s’accrocher, une main qu’on saisit… Je ne veux pas disparaître…

Le besoin de cette main aurait pu, justement, le ramener comme tant d’autres, à Dieu, la main tendue, que l’angoisse des hommes projette dans la nuit. Mais que sa mère ne semblât point chercher cet appui, suffisait à en écarter sa pensée. Même en critiquant Annette, il subissait l’influence de son attitude. Qu’en dépit de ce qui l’attendait, elle pût rester tranquille, ne le rassurait point, mais l’obligeait à se tenir droit, comme elle. On a beau être un petit garçon nerveux, chétif, un peu froussard, on n’est pas pour rien le fils d’Annette. Puisqu’elle, une femme n’a pas peur, je ne dois pas avoir peur.

Seulement, il ne lui était pas donné, comme à ces grands, de n’y pas penser. La pensée vient et va, on ne peut pas l’empêcher, surtout la nuit, quand on ne dort pas… Eh bien, alors, il fallait y penser et ne pas avoir peur : « Comment est-on, quand on meurt ? »…

Naturellement, il n’avait aucun moyen de le savoir. On lui avait épargné tout spectacle funèbre. Quelques images de musée. Raidi dans son petit lit, il tâtait les parois de son corps… Comment voir ?… — Une parole imprudente lui révéla, tout près, une fenêtre qui s’ouvrait sur le gouffre qu’il brûlait de regarder.

Un jour d’été, il musardait à la fenêtre ; il attrapait des mouches et leur arrachait les ailes. Il trouvait amusant de les voir gigoter. Il ne pensait pas leur faire mal ; il leur faisait une farce. C’étaient des jouets vivants, que ça ne coûtait rien de casser… Sa mère le surprit dans cette occupation. Avec sa violence qu’elle ne savait pas réprimer, elle le prit par les épaules et le secoua, en criant qu’il était un dégoûtant petit lâche…

— Qu’est-ce que tu dirais, si on te cassait les bras ? Tu ne sais donc pas que ces bêtes souffrent comme toi ?…

Il feignit de rire, mais il était saisi. Il n’y avait pas