Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/179

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’hiver, et de l’avide affection de sa mère, elle était sa principale ressource, il l’épiait curieusement, chantonnant, bricolant, poursuivant ses autres occupations — car l’esprit de l’enfant est, comme ses guibolles, agile et bondissant, il a beau vous tourner le dos, il vous regarde avec des yeux derrière la tête, et ses oreilles de chat comme des girouettes girent aux sons de voix. Si cette attention à feux tournants chasse trois ou quatre lièvres à la fois, il ne perd jamais la piste, il s’amuse, il sait bien que demain il recommencera… Le lièvre se laissait prendre. Expansive, emportée, prodigue dans ses sentiments, Annette ne lésinait point : elle se dépensait sans compter.

Tantôt elle lui parlait, comme à un tout petit : — et elle le blessait, il la trouvait ridicule. Tantôt elle lui parlait, comme à un camarade de pensée, trop âgé : — et elle l’ennuyait, il la trouvait rasante. Tantôt elle se laissait aller à penser tout haut, monologuer devant lui, comme s’il ne pouvait comprendre : — et il la jugeait baroque, il l’observait sévèrement, moqueusement. Il ne la comprenait pas ; mais ne pas comprendre n’a jamais dispensé de juger.

Il avait adopté une attitude factice, qui lui était commode, car elle pouvait s’appliquer à tous les cas : la politesse impertinente et distraite d’un enfant bien élevé, qui fait semblant d’écouter, parce qu’il y est obligé, mais que cela n’intéresse nullement : il a ses affaires, et quand vous lui parlez, attend que vous ayez fini. — À d’autres moments, il s’amusait à jouer le caressant, pour lui faire plaisir. Il savait que sa mère ne manquerait pas d’exploser de bonheur. La bonne femme y allait de tout son cœur. Quand elle tombait dans ses panneaux, il avait pour elle un peu de mépris affectueux. Quand elle agissait d’une façon qu’il n’avait pas prévue, il était irrité, mais il l’estimait davantage. Il n’était pas capable de tenir un rôle longtemps. Un