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L’homme n’a droit à rien. Rien ne lui appartient. Il faut qu’il conquière chaque chose, à nouveau, chaque jour. C’est la Loi : « Tu gagneras ton pain, à la sueur de ton front. » Les Droits sont une fourbe invention du combattant fourbu, pour sanctionner le butin de sa victoire passée. Les Droits ne sont que la force d’hier, qui thésaurise. — Mais le droit vivant, l’unique, c’est le travail. La conquête de chaque jour… Quelle vision soudaine du champ de bataille humain ! Elle n’effrayait point Annette. La vaillante admettait ce combat, comme une nécessité ; et elle la trouvait juste, parce qu’elle était « en forme », jeune et robuste. Si elle vainquait, tant mieux ! Si elle était vaincue, tant pis ! (Elle ne serait pas vaincue…) Elle n’avait pas renoncé à la pitié. Mais elle avait renoncé à la faiblesse. Le premier dos devoirs : « Ne sois pas pusillanime ! »

À la lumière nouvelle de cette loi du travail, tout s’éclairait pour elle. Les anciennes croyances étaient mises à l’épreuve. Et une nouvelle morale, sur les ruines de l’ancienne, s’élevait cimentée sur cette base héroïque. Morale de la franchise, morale de la force, non du pharisaïsme et de la débilité… Et, posant sous ce jour les doutes qui la travaillaient, celui surtout qui lui tenait au plus profond du cœur : — « Ai-je eu le droit à mon enfant ? » — elle se répondit :

— Oui, si je puis le faire vivre, si je sais en faire un homme. Si je le puis, c’est bien. Si je ne puis pas, c’est mal. C’est la seule morale, toute autre est hypocrite…

Cet arrêt inflexible redoubla sa vigueur et sa joie à lutter……

Elle méditait ainsi, le jour, tandis que dans Paris elle marchait, allant d’une tâche à l’autre. La marche excitait sa pensée. Maintenant que l’action quotidienne était méthodiquement réglée, le rêve reprenait ses droits. Mais le rêve éveillé, clair, précis, le rêve sans brouillard. Plus le temps lui était mesuré, plus il profitait des