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préhensions. Plus da place pour ce qui énerve, alanguit, dissout l’âme. La gêne et le travail mettaient chaque chose à son rang. Ce qui est nécessaire. Et ce qui est de luxe…

Ce qui est nécessaire : le pain quotidien. Ce qui est de luxe : les problèmes du cœur… L’eût-elle imaginé ! Ils lui paraissaient, maintenant, secondaires… Bon pour ceux qui ont trop de temps ! Elle n’en avait ni trop, ni trop peu. Juste assez. Une pensée par action, et pas une de plus. Alors, en pleine force, elle se sentait comme une barque bien calée, qui est lancée sur les flots.

Elle était dans sa trente-troisième année ; et rien n’avait encore usé ses énergies. Elle s’apercevait que, non seulement elle n’avait pas besoin de tutelle, mais qu’elle était plus forte, sans appui. La dureté de vivre la revigorait. Et le premier bienfait fut de la débarrasser de l’obsession de Julien, de la nostalgie de l’amour, qui, sourde ou violente, empoisonnait toutes ses années passées. Elle découvrait combien elle avait été affadie de rêves sentimentaux, de douceur, de tendresse, de sensualité hypocrite : et d’y penser seulement lui répugnait. Avoir affaire aux rudesses de la vie, subir son contact blessant, devoir être dure soi-même, — c’est bon, c’est vivifiant. Toute une partie d’elle-même, la meilleure peut-être, à coup sûr la plus saine, renaissait.

Elle ne rêvait plus. Elle ne se tourmentait plus. Même plus de la santé de son enfant. Quand il était souffrant, elle faisait ce qu’il y avait à faire. Elle n’y pensait pas, avant. Elle n’y pensait plus, indéfiniment, après. Elle était prête à tout, elle avait confiance. Et c’était la meilleure médecine. En ces premières années de labeur acharné, elle ne fut pas malade, un jour ; et le petit ne lui causa aucune vraie inquiétude.

Sa vie intellectuelle n’était pas moins réduite que sa vie sentimentale. Elle n’avait presque plus le temps de lire. Elle aurait dû en souffrir… Point ! l’esprit y sup-