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frant même, — incapables de prononcer la parole qui réunit : — l’un par faiblesse intime, cette débilité morale, qui, à de rares exceptions, (qu’un homme ose le dire !) est le propre de l’homme, et qu’il ne reconnaît pas, — l’autre, par cet orgueil foncier, qui est le propre de la femme, et qu’elle n’avoue pas davantage : car les deux sexes ont été tellement déformés par les conventions morales d’une société bâtie sur la victoire de l’homme qu’ils ont tous deux oublié leur vrai caractère. Le plus faible des deux n’est pas toujours dans la nature celui qu’on nomme ainsi. La femme est bien plus riche en forces de la terre ; et si elle est sous les rets que l’homme a jetés sur elle, elle demeure une captive, qui n’a pas renoncé…

Julien entrevoyait les justes raisons d’Annette, et il n’avait aucun doute sur leur droiture ; mais il ne pouvait pas faire violence à sa timidité de cœur ; il suivait l’opinion du monde, qu’il estimait moins qu’Annette. Seul, il eût accepté le passé d’Annette ; mais il ne l’acceptait pas, sous le regard du monde ; et il se persuadait que c’était sous le regard de sa conscience. Il n’avait pas la bravoure de prendre pour femme celle qu’il voulait ; et il nommait dignité sa pusillanimité. Il n’arrivait pas à se faire complètement illusion ; et il en voulait à Annette de ce qu’il ne lui en faisait pas non plus. Du moins, il aurait dû rompre ; mais il n’y consentait point. Et lorsque Annette parlait de s’éloigner, il la retenait, hésitait, souffrait, faisait souffrir. Il ne voulait pas plus accepter que renoncer. Il jouait le jeu cruel d’entretenir l’espoir, qu’ensuite il faisait saigner. Il se dérobait, quand elle était le plus aimante, et se faisait plus aimant, quand elle se résignait. Annette avait des cris douloureux de tendresse blessée. Elle se rongeait. Sylvie s’en aperçut et finit par lui arracher la vérité. Elle avait vu Julien, et elle l’avait jugé :

— Il est de ceux qui ne se décident que lorsqu’on les