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pour s’esquiver ; et elle, oubliant sa fierté, feignait de ne pas comprendre, s’épuisait à trouver des réponses, luttait fiévreusement pour qu’il ne s’éloignât pas. Il ne s’éloignait pas. Il ne refusait pas de prendre. Il refusait de donner…

Lorsque Annette aperçut le but de ses travaux de contrevallations et ce qu’il voulait d’elle, elle en eut moins de révolte encore que d’abattement. Il ne lui restait plus la force de s’indigner. Lutter, ce n’est plus la peine… Voilà ce qu’il voulait !… Lui !… Le malheureux !… Il ne se connaissait donc pas ? Il ne savait donc pas ce qu’il représentait à ses yeux ? S’il était l’aimé, c’était pour son sérieux moral. Cela ne lui allait pas du tout, mais pas du tout, de faire le don Juan, le coureur d’amour, l’amant libre ! (Car, malgré son chagrin, l’esprit d’Annette gardait sa clarté ironique, et il n’oubliait pas de saisir le comique mêlé au tragique de la vie).

— Mon ami, pensait-elle, avec tendresse, pitié, dégoût, je t’aimais mieux, lorsque tu me condamnais. Ton idée, un peu étroite, mais haute, de l’amour t’en donnait le droit. Tu ne l’as plus, maintenant. Qu’ai-je à faire de ce moindre amour que tu me proposes aujourd’hui, de cet amour sans confiance ? Si la confiance manque, il n’y a plus rien entre nous…

Chaque amour a son essence : où l’un fleurit, l’autre se flétrit. L’amour charnel se passe d’estime. L’amour d’estime ne peut se ravaler à la simple jouissance.

— Mais, s’écriait dans son cœur Annette, soulevée de révolte, je serais plutôt la maîtresse du premier passant qui me plaise, que de toi, de toi que j’aime !…

Car, de lui, c’eût été dégradant. Tout ou rien !

Aux suggestions de Julien, elle opposa donc un refus tendre et ferme, qui le froissa. Ils continuaient cependant de s’aimer, en se jugeant sévèrement ; et aucun des deux ne pouvait se résigner à la perte du bonheur. Ils étaient là, s’appelant, se désirant, s’of-