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— Non, mon ami.

— Mais vous ne lui en voulez pas !

— Pourquoi lui en voudrais-je ?

— Et vous pensez à lui ?

— Je pense à vous, Julien !

— Mais vous ne l’oubliez pas !

— Je ne sais pas oublier ce qui fut bon pour moi, même s’il cessa de l’être. Ne me le reprochez pas, vous qui m’êtes le meilleur !

Julien avait assez de droiture pour estimer la franchise d’Annette et pour en reconnaître secrètement la noblesse. C’était pour lui un spectacle inattendu, dont la dignité inusitée lui révélait un Nouveau Monde, — la femme nouvelle. — Mais une autre partie de sa nature se révoltait. Il était blessé dans ses instincts de mâle. Il était horrifié dans ses préjugés catholiques et bourgeois. L’idée qu’il avait, qu’il continuait d’avoir d’Annette, était empoisonnée de soupçons dégradants. Au lieu d’être plus sûr d’une femme qui lui livrait son secret avec une entière loyauté, il était moins sûr d’une femme dont la faiblesse passée lui était révélée. Il doutait de sa fidélité à venir. Il pensait à cet autre homme vivant, qui l’avait eue, dont il aurait l’enfant. Il avait peur d’être dupe. Il avait peur d’être ridicule. Il était mortifié, et ne pouvait pardonner.

Dès qu’Annette se rendit compte du dangereux combat qui se livrait dans l’esprit de Julien et qu’elle vit menacé l’espoir qu’elle avait formé, elle trembla. Elle était prise à fond par l’amour qu’elle avait amorcé. Toute sa force d’aimer, toute sa capacité de bonheur, elle les avait placés sur ce Julien. Et en vérité, elle se trompait à moitié. Mais elle ne se trompait qu’à moitié. Julien n’était pas indigne d’elle, ses qualités étaient réelles, elles méritaient l’amour. Si différents qu’ils fussent, ils auraient pu vivre ensemble, avec un peu d’efforts mutuels pour se comprendre et pour se tolérer,